mercredi 11 juillet 2012

Louange à toi, ô M. le Président


Yaoundé 11 juillet 2012. Propagande. Enquête sur les motions de soutien au chef de l’Etat, Paul Biya. 

Le Président de la république du Cameroun, Paul Biya
Voici ce que l’ancien ministre délégué auprès du Vice-Premier ministre en charge de la Justice, par ailleurs professeur des universités, Maurice Kamto, écrit au sujet des motions de soutien dans son livre « L’urgence de la pensée », paru en 1991 aux éditions Mandara : « Tout est l'occasion d'une "motion de soutien" : cet alignement saccadé de litanies sans poésie, d'effusions puériles, d'oraisons jaculatoires qui ne trompent plus que leurs auteurs; l'expression pathologique d'une non-communication politique qui pourtant enfle la personnalité de ses "adressataires". Car le chef est généreux, toujours. Il est la générosité: faisant "don" d'une école ou d'un hôpital, d'un centre des PTT ou d'un complexe sportif, d'une basilique ou d'une mosquée, d'une route, d'un pont et que sais-je encore... Il n'y a rien venant de lui qui soit dû à la nation. Pas de frontière entre le privé et le public; tout est générosité, signe de sollicitude infinie. »

21 ans après la publication de ce livre, les motions de soutien adressées au président de la République se portent toujours bien, sinon mieux. Cameroon Tribune (journal gouvernemental) et la Crtv (office de radio et télé publique), réceptacles de cette littérature, ont publié ces derniers jours les motions des députés Rdpc à l’Assemblée nationale et du Conseil national de la jeunesse. Le motif de ce dernier acte de soutien au président Biya est l’interpellation de l’ancien Premier ministre Inoni Ephraïm et de l’ancien ministre de l’Administration territoriale, Marafa Hamidou Yaya. L’une comme l’autre motion exhorte le chef de l’Etat à poursuivre sa croisade contre la « corruption et les détournements de fonds publics » et prie « Dieu Tout-Puissant de [lui] accorder ainsi qu'à toute [sa] famille santé et longévité afin de parachever l'important chantier de construction d'un Cameroun moderne, démocratique et prospère [qu’il a] si heureusement engagé. » Le champ lexical va généralement chercher dans la louange et le culte de la personnalité du président Biya. 

Sopécam 

Les veilles d’élections présidentielles sont des moments fastes des motions de soutien. Quelques mois avant la modification de la Constitution, en avril 2008, de nombreuses motions ont été adressées au chef de l’Etat pour l’implorer de briguer un autre mandat à la tête du Cameroun. Tous ces textes ont été rassemblés dans plusieurs tomes de « L’appel du peuple », publié par les éditions Sopécam. 

Selon le secrétaire national à la communication du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), Jacques Fame Ndongo (lors d’un débat à l’université de Yaoundé I en mai 2011), une motion de soutien est « une technique de communication et une preuve d'engagement politique ». Charles Ateba Eyene, militant du Rdpc, pense, lui-aussi, qu’il s’agit d’une technique de communication politique qui vise à « légitimer une action du chef ». « Le chef a besoin de motions de soutien qui sont des cautions à ses actions », complète-t-il. 

Le soutien apporté aux actions du chef de l’Etat ne semble pas être le seul but recherché par les signataires de motions de soutien. Il y a le positionnement personnel de leurs auteurs, ce qui rend cette littérature peu « sincère », selon Ateba Eyene. Raison pour laquelle il dit n’avoir jamais signé de motions de soutien malgré les invitations à lui faites. « Les gens font des motions de soutien pour des raisons de positionnement politique, une façon de flatter le chef de l’Etat, lui donner l’impression qu’on le soutient, tout en attendant le retour d’ascenseur à travers des postes », relève-t-il. 

Opposant 

Le président PAUL BIYA
L’initiative des motions de soutien reste floue. Si dans le texte on apprend en général que ce sont « les militants Rdpc » de telle ou telle section, que ce sont les « enseignants », le « personnel » de telle ou telle université, etc., la réalité est parfois autre. Selon Charles Ateba Eyene, il y a parfois une « grande manipulation » derrière des motions, beaucoup de « mensonges » aussi. « On vous dira que les militants Rdpc d’Akom II ou de Nguelemendouka ont adressé une motion de soutien au chef de l’Etat, alors que c’est faux, confie-t-il. On donne l’impression que le texte a été signé dans ces localités. Tout se rédige dans un bureau à Yaoundé, on met les noms des gens sans même les avoir contactés. Sachant qu’ils ne se plaindront jamais. La moindre plainte signifie que vous êtes contre le chef de l’Etat, un opposant. Ça manque de sincérité. Finalement, dans ces conditions, les motions ne servent à rien. » 

On peut observer beaucoup de suivisme dans les motions de soutien. Dès que les militants du Rdpc d’une région donnent le coup d’envoi, le pays entier « s’embrase ». Les motions n’arrêtent plus. Selon un cadre du parti au pouvoir, les motions sont aussi le lieu de règlements de comptes entre élites du parti. « On adresse une motion de soutien au chef de l’Etat et on s’arrange à ne pas vous en informer et à ne pas mettre votre nom sur la liste des signataires. Si vous n’avez donc pas signé une motion de soutien au chef de l’Etat, cela signifie implicitement que vous êtes contre lui », soutient-il.
Jean-Bruno Tagne

Les motions de soutien adressées au chef de l’Etat sont-elles sincères? 

«Ca fait partir du folklore»
Célestin Djamen, militant Sdf
Elles ne sont pas sincères. Ça fait partie du folklore instauré dans les clubs Rdpc. Ce n’est pas du tout étonnant qu’on assiste encore aujourd’hui à ce genre de comédie. Vous savez que depuis un certain temps déjà, c’est le président national du Rdpc, malheureusement président de la République en même temps, qui avait déclaré qu’au Rdpc, « on danse plus qu’on ne pense ». Ça veut donc dire que lui-même, chef national du parti, reconnaît qu’au sein de son club nous sommes dans une comédie pathétique permanente. Ce type de motions ne correspond en rien à ce que nous considérons comme la République. Les motions de soutien relèvent d’un autre temps, du temps des partis uniques qui n’ont pas leur place dans la République. Malheureusement, nous sommes obligés de penser que le moment est venu pour que tous les Camerounais se mettent ensemble pour comprendre la nocivité de ce parti qui, en réalité, est un Etat-parti, et en tirer toutes les conséquences. C’est pour toutes ces raisons que le Sdf, parti de masse et donc parti du peuple, se bat instamment et constamment depuis 22 ans afin que ces pratiques (motions de soutien) moyenâgeuses n’aient plus cours dans notre cher et beau pays.

Dieudonné Yebga, militant Manidem
 «Des motions pour endormir le président»
Les motions de soutien servent à endormir le président de la République. C’est pour ceux qui cherchent à avoir leur petit gâteau quelque part. Ils essaient d’écrire une motion de soutien pour lui dire que nous sommes là, il faut aussi penser à nous. Sincèrement, ces motions de soutien ne servent à rien. Il faut voir ceux qui les initient. Si ce sont des élites du Nord, elles demandent un ministre et si ce sont les élites du Sud ou de l’Est, elles veulent des ministres de leur région. Elles ne le font jamais pour rien. Il y a toujours un message qui se cache derrière. Les motions de soutien du Rdpc, c’est pour dire au président de la République ‘‘tu nous as choisis et nous sommes là. Nous faisons le travail pour que toi tu restes et nous on mange’’. Ces motions de soutien sont nulles.

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