jeudi 12 janvier 2012

« Le Sdf veut se relancer en changeant de leadership »


Yaoundé le 12 janvier 2012. Mathias Owona Nguini. Le politologue analyse les enjeux d’une éventuele succession à la tête du Sdf.

Mathias Owona Nguini
Pendant plus de 20 ans, Fru Ndi a incarné le Sdf. Son éventuel départ ne risque-t-il pas de fragiliser ce parti ?
Si jamais le Chairman du Sdf, Ni John Fru Ndi venait à quitter la tête de cette formation politique, il laisserait, certainement pour au moins un temps, un vide. Cette personnalité a effectivement incarné la direction du Social democratic front depuis la fondation de ce parti dans les années 90… 

L’emprise de Fru Ndi sur le Sdf a-t-elle permis de faire émerger des personnalités capables à votre avis de le remplacer ?
C’est aux cadres et aux militants de cette formation politique de se prononcer sur celui qui, dans l’hypothèse d’un départ de Monsieur Fru Ndi, aurait le profil idéal pour occuper la direction du Social democratic front. Toujours est-il qu’un certain nombre de personnalités ont plus ou moins fait montre de leur volonté de pouvoir un jour incarner la direction du Sdf.
On peut citer l’un des vice-présidents, Joshua Osih, qui est apparu ces derniers temps comme la personnalité la plus en vue. Il dispose de certains atouts : il a des activités économiques autonomes, c’est quelqu’un qui fait montre d’un certain talent dans l’expression orale et qui est capable de mobiliser son carnet de relations au service de sa formation politique.
On peut aussi citer une personnalité comme Jean Michel Nintcheu qui ne fait pas mystère de sa volonté de jouer un rôle un peu plus important dans le Sdf. C’est une personnalité qui est impliqué dans des activités privées, notamment dans l’imprimerie. Au plan politique, il apparait comme un fonceur, quelqu’un qui souhaiterait donner au Sdf un côté un peu plus bagarreur dans l’action politique.
Une autre personnalité comme Joseph Mbah Ndam a été pendant longtemps le principal meneur du Sdf à l’Assemblée nationale dont il connaît très bien les rouages. Il a été aussi l’une des voix autorisées du Chairman et pourrait prétendre également diriger cette formation politique.
On a aussi vu parmi les prétendants, une personnalité comme Célestin Njamen qui n’a pas fait mystère de sa volonté de pouvoir disposer là d’une tribune pour faire avancer ses idées politiques. 

Que deviendrait Ni John Fru Ndi au cas où il serait déchargé de sa casquette de leader du Sdf ?
Si jamais Fru Ndi venait à quitter la direction du Sdf, sa visibilité dépendrait du fait de savoir s’il se retirerait de la vie politique ou s’il choisirait d’être une simple figure morale du parti. Il peut aussi en profiter pour se donner une visibilité dans des élections locales. 

Le pouvoir Rdpc devrait-il se réjouir ou s’inquiéter de l’arrivée éventuelle d’une personnalité nouvelle à la tête du principal parti politique de l’opposition ?
Pour se réjouir ou s’inquiéter de l’éventuelle arrivée d’un nouveau président au Sdf, il faut que le Rdpc identifie d’abord la personnalité qui se trouverait dans le rôle de président du Sdf. C’est en fonction de l’envergure politique de cette personnalité que le Rdpc pourrait envisager une stratégie pour essayer de maintenir sa position politique dominante face à un Sdf qui voudrait se relancer en changeant de leadership.

« L’autochtonie » en question


Yaoundé le 12 janvier 2012. Dérive. Les affrontements entre jeunes de Deïdo et conducteurs de « moto-taxis » ont remis sur la place publique un discours que Célestin Bedzigui qualifie de « tribaliste ».

31 décembre 2011. Un individu est tué par des voyous à moto dans le quartier Deïdo à Douala. Pour se venger de cet autre crime, les populations riveraines décident de châtier les « moto-taximen » qu’elles accusent d’être à l’origine de cette insécurité. Leurs motos sont arrachées et brûlées. Des conducteurs de « moto-taxi » sont lynchés. En riposte, les « bend-skineurs » organisent une expédition punitive dans le quartier. S’en suit un affrontement entre les jeunes du coin et les assaillants. Cette bagarre rangée laisse un mort sur le carreau, de nombreux blessés et des dégâts matériels importants. 

Le calme revient peu à peu à Deïdo. Mais les affrontements se poursuivent dans les médias et les réseaux sociaux. Universitaires, hommes politiques et autres citoyens s’étripent. James Mouangue Kobila, enseignant à l’université de Douala, ouvre le feu le premier. Dans un communiqué rendu public le 5 janvier 2012, l’enseignant affirme que « les événements de Deido ne seraient pas allés au-delà de l'assassinat d'un jeune homme et de l’indignation éruptive des habitants de Deido, si certains habitants de la ville de Douala n'étaient pas animés par une volonté hégémonique qui leur fait oublier le respect normalement dû à une communauté qui se sent outragée et attaquée dans son terroir par des comportements de prédateurs ». Il ajoute que la contre-réaction des conducteurs de moto-taxis « s'inscrit dans le prolongement du déni d'autochtonie, voire du mépris des autochtones qui est la chose la mieux partagée par certains Camerounais ». 

« Tribalisme institutionnel »
Dans une tribune parue chez nos confrères de Mutations, Célestin Bedzigui, leader politique camerounais en exil aux Etats-Unis, soutient que les événements de Deïdo ont dérivé sur « un discours de stigmatisation, d’exclusion et d’exacerbation de la haine ». L’homme politique ajoute que « les affrontements de Deido peuvent se dupliquer dans plusieurs villes et être le point de départ d’un embrasement général, de massacres et déplacements massifs de populations. »

L’expression « autochtone » utilisée par James Mouangue Kobila, certainement par opposition à « allogène », est consacrée par le préambule de la Constitution camerounaise du 18 janvier 1996. « L'État assure la protection des minorités et préserve les droits des populations autochtones conformément à la loi », proclame la loi fondamentale du Cameroun, sans plus de précision. Avec cette disposition constitutionnelle, Célestin Bedzigui pense qu’on est parti du « tribalisme informel » au « tribalisme institutionnel ». Pour lui, les sorties et les prises de position de certains universitaires et hommes politiques ne sont ni plus ni moins que du « tribalisme » inadmissible en République et qui nous rapproche du « syndrome rwandais ». 

Comment donc faire face à cette opposition quasi-permanente entre « autochtones » et « allogènes » dans certaines contrées du Cameroun ? 

Célestin Bedzigui propose que la Constitution du 18 janvier 1996 soit dépouillée du terme « autochtone » et qu’à la place on parle de « minorité » et de « majorité ». Il préconise aussi une politique de « zéro tolérance » à l’égard de toute manifestation de tribalisme. Bref, une criminalisation de tout propos stigmatisant à l’égard d’une communauté. « Il est tout simplement inacceptable, s’indigne-t-il, qu’en République de véritables appels au meurtre ou au pogrom par certains individus au prétexte qu’ils sont ‘’autochtones’’, des injures et insultes tribalistes proférées devant témoins ou sur des medias publics ou électroniques, la ségrégation à l’emploi pour motif tribal, toutes choses qui sont les semences du ‘’syndrome rwandais’’, n’exposent pas leurs auteurs à des poursuites devant les tribunaux. »



L’autochtone selon les Nations Unies
  • La continuité historique : il doit pouvoir être établi une continuité historique entre les autochtones et les premiers habitants d’un pays ou d’une région avant sa conquête ou sa colonisation.
  • La différence culturelle : les peuples autochtones ne se sentent pas appartenir à la culture de la société dominante du pays dans lequel ils habitent. Ils sont déterminés à préserver leurs caractéristiques culturelles, leurs traditions et leurs organisations sociopolitiques.
  • Le principe de non-dominance : les peuples autochtones sont en marge de la société.
  • L’auto-identification : Il s’agit là, d’une part, de la conscience d’un individu d’appartenir à un peuple autochtone et, d’autre part, de son acceptation en tant que membre de ce peuple par le peuple autochtone lui-même.

lundi 9 janvier 2012

"Elecam est une escroquerie politique"

Yaoundé le 9 janvier 2012. Hilaire Kamga. Le porte parole de la Plate forme de la société civile pour les élections émet des doutes quant à l’organisation d’élections libres et transparentes au Cameroun en juillet prochain. 

 
Hilaire Kamga, porte parole de la Plate forme de la société civile pour les élections
Le président de la République, lors de son discours d’investiture le 3 novembre dernier, tout en se félicitant d’une présidentielle qui s’était déroulée dans le « calme et la transparence », avait quand même noté qu’il y a des « réglages » à apporter au processus électoral pour son amélioration. Est-il sincère, à votre avis ?
Lors de la présentation des vœux, il a dit qu’il y avait des « dysfonctionnements ». Or, j’ai été sur le terrain et j’ai constaté que des morts ont voté, qu’il y a eu des votes multiples, etc. Si pour le chef de l’Etat, ce sont des « dysfonctionnements », pour nous ce sont des fraudes massives.
Le chef de l’Etat n’est pas sincère. On ne peut pas vouloir combattre des « dysfonctionnements » sans toucher le cœur ou le foyer à travers lequel ces dysfonctionnements se sont manifestés. Je veux parler du fichier électoral. Elecam a choisi de réviser les listes électorales au lieu d’en faire une refonte totale. Il n’y a pas de réglage possible. Depuis 15 ans, ce ne sont pas les propositions qui ont manqué. Mais, comme disait quelqu’un, le président Biya est comme un médecin qui fait de très bons diagnostics, mais ne propose jamais les ordonnances qui conviennent. J’ai de sérieux doutes quant à sa volonté de faire reculer ceux qui voudraient qu’on maintienne absolument un système opaque ; celui qui promeut l’arrivée au pouvoir de personnes qui n’ont aucune assise populaire et qui sont obligés de passer par un système frauduleux pour arriver au pouvoir. Le mal est profond. Ce ne sont pas simplement des réglages qu’il faut. Il faut absolument reconstruire un nouveau système électoral. Celui qui existe pour l’instant n’a pas été conçu pour garantir une dévolution transparente du pouvoir.
Par où faut-il commencer ?
Il faut commencer par le fichier électoral. Il ne peut être garanti que par la loi électorale qui organise sa construction. Comment on construit le fichier électoral au Cameroun ? Quels sont les acteurs qui y sont impliqués ? Et quels sont les pouvoirs de ces acteurs ? Le premier acteur, c’est Elecam. Or, Elecam a été une grosse escroquerie politique parce qu’on y fait cohabiter deux organes sans le dire : le conseil électoral, qui est supposé être l’organe qui gère l’élection alors qu’il ne gère rien du tout, et le directeur général des élections, qui n’est pas formaté pour produire un bon fichier électoral ou pour organiser de bonnes élections. Il ne faut pas simplement changer les membres du conseil électoral, mais il faut restructurer les pouvoir du Dg des élections. En l’état actuel, même si on nommait le cardinal Tumi, qui est pour moi le Camerounais le plus crédible, il ne ferait rien.
D’aucuns proposent également une loi électorale unique…
Il faut absolument créer une loi électorale de manière globale pour qu’on ait un code électoral unique. Et dans ce code électoral, il faut éliminer toutes les poches de conflits qui devraient exister entre les acteurs chargés de conduire les élections. Il faut également y extirper les expressions qui peuvent créer la confusion.
Mais je pense que le fichier électoral est l’élément le plus important. Ce qui tient lieu de fichier électoral remis par le Minatd et exploité par Elecam doit être jeté à la poubelle. On doit tout recommencer à zéro.
Tout cela est-il possible avant les élections de juillet prochain ?
M. Biya Paul ne peut pas le faire. Il n’y a pas intérêt. Son type de système n’est pas compatible avec la transparence. S’il y a une transparence réelle, il peut perdre la majorité au Parlement. Et s’il la perd, cela peut supposer une modification de la Constitution... Pour éviter d’en arriver là, il va maintenir un système électoral opaque. Je doute donc de la capacité de M. Biya et de son système à pouvoir apporter des correctifs pour des élections claires et transparentes au Cameroun.