mardi 3 juillet 2012

La politique sans foi ni loi


Yaoundé 3 juillet 2012. Dérive. Les principes moraux ne semblent pas être au centre des actions des acteurs publics au Cameroun.

 Issa Tchiroma et Paul Biya lors de la cérémonie de pose de la première pierre 
du barrage de Memve’ele. (Source Cameroon Tribune)

18 juin 2012. Cameroon Tribune publie une photo du président de la République, Paul Biya, en compagnie du ministre de la Communication. Sur cette image prise lors de la cérémonie de pose de la première pierre du barrage de Memve’ele, Issa Tchiroma affiche un large sourire devant le chef de l’Etat qui, lui aussi, sourit. Cette photo ne passe pas inaperçue et apparaît comme une « provocation » pour certains observateurs. Car, quelques jours plus tôt, l’ancien ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, Marafa Hamidou Yaya, a publié un rapport confidentiel dans lequel il appert que Issa Tchiroma, alors ministre des Transports en mai 1994, aurait perçu des pots-de-vin dans la signature du contrat entre la South African Airways et la Camair pour l’entretien de des avions de la compagnie camerounaise.  Le mis en cause est d’ailleurs passé aux aveux, reconnaissant devant la commission Foumane Akame (lui aussi n’est pas épargné par le scandale du crash du vol de la Camair de 1995) avoir touché ces sommes pour le financement des activités de son parti politique. 

Au cours de la même cérémonie de Memve’ele, Jean-Jacques Ndoudoumou, le directeur général de l’Agence de régulation des marchés publics (Armp), épinglé par le Contrôle supérieur de l’Etat – une institution placée sous l’autorité directe de la présidence de la République -,  a été reconnu coupable de fautes de gestion et « constitué débiteur de l’agence de la somme de 62 millions de FCfa ». Mais, n’empêche, il s’affiche publiquement devant le président de la République. 

Casseroles
Quelques mois auparavant, en novembre 2011, la Commission nationale anti-corruption, dans son rapport de mission à la Campost, recommande des poursuites judiciaires contre des  personnalités soupçonnées de détournements de fonds publics. Parmi les personnes citées, un certain Paul Atanga Nji, chargé de mission à la présidence de la République et président du Conseil national de la sécurité. Il est toujours en fonction.
Et que dire de Cavaye Yéguié Djibril, le président de l’Assemblée nationale, accusé de faire entrer sa progéniture par des moyens peu orthodoxes à l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (Enam) ? Selon une enquête du Jour publiée en janvier 2011, le Pan s’arrangerait pour recruter sa progéniture, une fois sortie de l’école, dans les services de l’Assemblée nationale. Un autre scandale concernant Cavaye Yéguié Djibril éclate en juillet 2011. Le nom de son fils n’apparaît pas sur la liste des admissibilités au concours d’entrée à la Faculté de médecine. Pourtant, à la publication des résultats définitifs, le fils de la deuxième personnalité de la République est parmi les admis. L’affaire fait grand bruit. Le Pan ne pipe mot. Il trône toujours au perchoir de l’hémicycle de Ngoa Ekellé. 

Des conflits d’intérêt et des scandales comme ceux cités plus haut peuvent être multipliés ad infinitum.  Mais, à l’observation, les casseroles ne sont jamais assez grosses ni assez bruyantes pour entraîner la démission ou le limogeage immédiat des acteurs publics et politiques au Cameroun. Alors, question : y a-t-il une morale dans la vie politique camerounaise ? 

La morale en politique, certes, relève de la philosophique, mais il faut en parler, s’agissant de la vie publique au Cameroun. Ce d’autant qu’en 1982, lorsqu’il arrive au pouvoir, Paul Biya place son mandat sous le signe de la « moralisation » de la vie publique. Quel bilan 30 ans plus tard ? 

Rigueur et moralisation
Selon le dictionnaire Larousse, la morale c’est « l’ensemble de règles de conduite, considérées comme bonnes de façon absolue ou découlant d'une certaine conception de la vie ». La morale, en politique, peut donc être considérée comme un ensemble de normes que l’on se fixe dans la gestion du pouvoir et des affaires publiques. 

Sur le plan doctrinal, Platon et Aristote pensent que la morale et la politique vont de pair. Puisque l’une comme l’autre vise le bien, aussi bien sur le plan individuel que collectif. La morale en politique suppose donc l’intégrité des acteurs appelés à gérer les affaires de la cité. Machiavel, quant à lui, dans son œuvre majeure, Le Prince, pense que c’est le résultat qui importe. Il faut donc abandonner toute considération éthique pour ne privilégier que la fin. 

Selon le politologue camerounais Mathias Owona Nguini, la question de la morale dans la politique au Cameroun dépend de chaque acteur. Pour lui, il y en a qui placent certaines considérations éthiques au-dessus de leurs actions alors que d’autres, par contre, privilégient les résultats. Mais dans l’ensemble, il pense qu’il n’y a pas, au Cameroun, des points consensuels sur lesquels les acteurs politiques s’accordent dans la gestion des affaires publiques. D’où, poursuit-il, la recrudescence de la corruption, des détournements de fonds publics, la mal gouvernance, la non-application de l’article 66 de la Constitution, etc. » 

« Foyisme »
Un avis que semble partager Olivier Bilé, candidat malheureux à la présidentielle d’octobre 2011, qui a battu campagne sous le thème du « foyisme », une doctrine qu’il a initiée et qui vise à mettre les valeurs spirituelles au cœur de son action politique. 

Le non-respect de la morale en politique au Cameroun a aussi, selon Mathias Owona Nguini, des conséquences sur le fonctionnement global de la société où règnent « l’indiscipline, l’immoralité, l’amoralité et la vénalité ». Il cite l’exemple de l’argent attribué aux partis politiques dans le cadre du financement public de la campagne électorale et qui ne fait quasiment l’objet d’aucun contrôle strict. Autant d’attitudes qui grèvent en même temps le développement du Cameroun. 

Mathias Owona Nguini estime qu’il revient à l’autorité suprême, le chef de l’Etat, de fixer le cap pour la moralisation de la vie politique. Viennent ensuite tous les autres acteurs politiques, la société civile et les leaders moraux, notamment les chefs de confessions religieuses, qui ont une certaine représentativité.
Jean-Bruno Tagne 


Quand chacun se tenait à carreau

Evocation. Il semble bien que sous le régime d’Ahidjo, les pratiques n’admettaient pas certains manquements à la morale dans les affaires publiques.

Interrogée il y a plusieurs années, à la faveur d’un portrait d’elle, Delphine Tsanga, ministre des Affaires sociales de Ahmadou Ahidjo, disait : « A notre époque, on ne faisait pas n’importe quoi. Les ministres ne s’enrichissaient pas comme on voit aujourd’hui. On ne parlait pas de détournements comme c’est le cas à présent. On était au service de l’Etat avec la rectitude et la moralité qui allaient avec ». Il faut croire que ça remontre vraiment à longtemps. 

Et encore, fait remarquer un observateur de la vie politique, « la morale est un ensemble de principes et de règles de conduite, d’attitudes qui touchent à ce qui est bien ou à ce qui est mal, principes et règles en vigueur dans une société ou un pays à un moment donné. Mais la morale, c’est quelque chose de dynamique, c’est quelque chose qui évolue. Ce qui n’était pas admis hier peut l’être aujourd’hui et c’est peut-être ce qui arrive dans notre classe politique de nos jours. Si à une époque, on n’admettait peut-être pas que les ministres mènent grand train, on l’admet peut-être désormais ». 

Il semble bien en tout cas qu’au Cameroun, sous l’ère Ahidjo, l’immoralité dans la gestion des affaires publiques n’était pas très en cour chez les ministres et tous les autres dépositaires de l’autorité de l’Etat. « Mais il ne faut pas croire que tous ces gens étaient blancs comme neige, qu’ils ne se rendaient pas coupables de manquements graves, de fautes lourdes ou même de corruption. Et n’allez surtout pas croire qu’ils démissionnaient de leur fonction de leur plein gré une fois qu’ils étaient convaincus de corruption par exemple ou qu’ils étaient accablés par les faits. Ils étaient démissionnés parce que, déjà, on était dans un système où l’on ne prend pas d’initiative et où l’initiative, dans un régime présidentialiste, appartient au président de la République. » 

Un scandale financier à la 8é Coupe d’Afrique des Nations, accueillie par le Cameroun en 1972, s’était soldé presqu’immédiatement par la traduction des présumés coupables devant les tribunaux et à leur condamnation à des peines de prison. De quoi tenir tout le monde tranquille. De la même manière, croit-on savoir, c’est le président de la République et sa propre manière de gérer les affaires publiques qui donnaient le ton et irradiaient sur l’appareil d’Etat et les hommes.
Stéphane Tchakam


« Il faut un réarmement spirituel »

Olivier Bilé, président de l’Ufp
Olivier Bilé
La racine fondamentale du mal qui gangrène le Cameroun est la corruption à savoir l'état de dégradation continuel de l'esprit et du mental des Camerounais qui ne s'en rendent même pas compte. La morale est loin d’être au cœur de la vie politique. Car les acteurs dominants ainsi que la plupart des partis  ont une pratique dont le fondement lié à l'humanisme moderne, ne peut que mener à d'épouvantables dérives de gouvernance, faute d'un référentiel éthique puissant, au-delà de l'homme. Il s'agit de la grande morale de la crainte de Dieu. A titre d'exemple, souvenez-vous de l'aventure de la « rigueur et de la moralisation » qui avait commencé avec de très belles intentions. Aujourd'hui, le pouvoir ne cherche qu'à préserver sa position en mobilisant mieux que jamais la théorie de Machiavel  qui est antimorale. Personne n'est préoccupé par l'exigence d'une loi sur la moralisation de la vie politique ou encore de mécanismes de promotion d'un véritable réarmement spirituel, mental et moral, conditions sine qua non du moindre progrès économique et social. Ces questions sont au cœur du foyisme politique, notre idéologie. Yes we believe!



« Aucun sens du devoir »

Vincent Sosthène Fouda, homme politique
Vincent Sosthène Fouda
La façon dont est promue l’élite politico-administrative de notre pays ne peut pas conduire à un code de comportement sain, bien au contraire ! Les cooptations, les pratiques de soumission, le « devoir à l’autre ce qu’on est » constituent dans leur ensemble, un frein à l’émergence d’une société où les acteurs de la politique agissante peuvent se mettre des limites dans leurs agissements. Quand vous regardez comment les gestionnaires de la fortune publique qui ont reçu mandat du président de la République se conduisent, quand vous voyez comment nos élus de la plus petite échelle à la plus grande se comportent, le rapport qu’ils ont au pouvoir n’a rien à voir avec le sens du devoir et du service à la collectivité. Voila pourquoi un ministre peut se permettre de distraire des sommes importantes d’argent sans qu’il n’ait un cas de conscience. On peut vendre des enfants de la communauté nationale, on peut monter de faux enfants de la rue pour faire passer un message à la télé et dans la presse, sans aucun regret.
Il faut un sens élevé d’humanisme pour s’engager dans la politique active, dans le service à la collectivité et cet engagement doit aussi rencontrer des hommes et des femmes disposés à vous accueillir. Voila pourquoi les quelques hommes et femmes qui veulent encore servir la collectivité dans notre pays se découragent assez rapidement parce qu’ils constatent qu’au bout du compte, c’est la loi du plus fort qui domine.



« Pas de politique sans éthique »

Joseph Som I, secrétaire général du Cpp
Joseph Som I
J’ai toujours pensé que la morale doit être au cœur de toute activité humaine, quelque soit sa nature.  Il demeure néanmoins que pour beaucoup, la politique est synonyme de la conquête et de l’exercice du pouvoir d’Etat. Et que la réussite en politique ne se mesure qu’à l’aune de cette seule finalité : le contrôle des positions de pouvoir. Ces derniers trouvent dans Machiavel leur maître à penser. Machiavel recommande donc la ruse, la dissimulation et le mensonge pour exercer le pouvoir d’Etat, la politique. 
Cette conception de la finalité du pouvoir s’observe dans les démarches de patrimonialisation des partis politiques où le siège national est au chevet du lit de son dirigeant, où des successions politiques matrimoniales ou héréditaires, ainsi que les positions politiques ad vitam telles que nous l’observons dans nombre de formations politiques exerçants au Cameroun.
Oui je crois sincèrement à la nécessaire moralisation de la vie publique au Cameroun. C’est le défi et l’exigence de la nouvelle génération d’hommes et de femmes politiques que nous sommes. Je ne vois pas la politique sans une éthique de la responsabilité.
Propos recueillis par Jean-Bruno Tagne

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