Yaoundé le 9 mai 2012. Manœuvres. Les autorités administratives empêchent le déploiement des hommes politiques et de la société civile sous le prétexte de la menace à l’ordre public.
Une manifestation de Kah Walla à Yaoundé |
Le Sdf entend marcher dans les prochains jours contre le code électoral voté le 13 avril dernier par l’Assemblée nationale et promulgué par le chef de l’Etat. C’est du moins ce qui a été décidé les 20 et 21 avril au cours de la réunion du comité exécutif du Social Democratic Front à Bamenda. Entre cette intention ferme de manifester et la manifestation elle-même, il y a un fossé : l’autorisation de manifestation publique délivrée par l’autorité administrative. Les leaders du Sdf, eux-mêmes, ne se font pas d’illusion quant à l’obtention de ce sésame. Car, que ce soient les hommes politiques ou les leaders de la société civile, organiser une manifestation légale au Cameroun est quasiment impossible. La menace de trouble à l’ordre public est généralement brandie pour justifier les interdictions quasi-systématiques des manifestations. Les exemples sont nombreux.
11 avril 2012. La présidente du Cpp, Kah Walla, organise une marche contre le code électoral à Yaoundé. La manifestation n’a pas été autorisée et la police a été déployée dans les environs de l’Assemblée nationale à Ngoa-Ekellé, pour contenir Kah Walla et ses militants. La marche n’ira pas plus loin et ne durera pas plus de deux heures. Entre temps, des militants du Cpp et des étudiants de l’Addec qui se sont associés à cette marche ont été arrêtés.
17 avril 2012. Les militants du Manidem ont maille à partir avec la police et le sous-préfet de Douala 1er. La manifestation que Anicet Ekane et ses camarades projetaient à leur siège contre l’adoption du code électoral a été interdite quelques minutes avant son début. Le sous-préfet, Jean-Marc Ekoa Mbarga, est là lui-même pour veiller au respect de cette mesure d’interdiction. Même le terme « pacifique » introduit dans la demande de manifestation publique n’a pas réussi à adoucir le sous-préfet qui estime que la nature de la manifestation n’a pas été précisée dans la déclaration.
Sdf
21 avril 2012. Le prêtre dissident jésuite, Ludovic Lado, doit donner une conférence de presse de lancement de sa campagne « Je veux un autre code électoral ». La cérémonie est prévue à 15h30 au siège du Centre catholique universitaire de Melen. A l’heure dite, en lieu et place des journalistes et des invités, la présence dissuasive d’un minibus bondé de policiers. La conférence de presse sera purement et simplement annulée. Le père Ludovic Lado était tout abasourdi par le déploiement de tant de gros moyens pour « une simple conférence de presse dans un domicile privé ».
Février 2012. Au plus fort de l’affaire Vanessa Tchatchou, toutes les manifestations en faveur du bébé volé de cette jeune mère sont non seulement interdites, mais ceux qui se sont entêtés, ont dû faire face à une répression violente des forces de l’ordre. Des hommes politiques sont molestés et arrêtés, tout comme des militants d’associations et d’Ong qui se joignent à la cause du bébé volé. Vincent Sosthène Fouda, candidat recalé à la présidentielle du 9 octobre dernier et figure de proue des manifestations pour faire la lumière autour de cette affaire a d’ailleurs comparu hier au Tpi d’Ekounou, pour manifestations illégales.
Même en pleine campagne électorale, certains hommes politiques de l’opposition ont eu du mal à se déployer, du fait des autorités administratives. Des exemples d’entraves à la liberté de manifestation publique peuvent être multipliés à l’infini. Une situation qui irrite les principales victimes, les hommes politiques. « C’est une logique de conservation du pouvoir, explique Célestin Njamen, militant du Sdf. Le pouvoir panique parce qu’il sait très bien que s’il ouvre une porte, il va finir par ouvrir la barrière et ce sera la chute. »
Pour le secrétaire général du Cpp, Joseph Désiré Som 1, on est, au Cameroun, en présence d’une administration qui se comporte en « bras armé du parti au pouvoir, le Rdpc ». « Je dirai même plus : en gros bras du Rdpc, ajoute-t-il. On assiste à beaucoup d’abus de pouvoir. Car en réalité, nous sommes dans un régime déclaratif. On déclare une manifestation publique, quitte à prendre des dispositions afin que la police encadre la marche. »
Les conséquences de ces interdictions des manifestations publiques sont nombreuses. Les hommes politiques estiment que c’est cette attitude « liberticide » de l’administration qui donne l’impression que l’opposition et la société civile camerounaise sont « indolentes et inactives ». « C’est voulu par le pouvoir, dit Célestin Njamen. L’opposition est ainsi fragilisée. Elle ne peut pas mobiliser le peuple. Ils sont en train de faire passer le code électoral alors que le peuple gronde de l’intérieur, mais ne peut pas agir. »
Courage
Pour Joseph Désiré Som1, ces entraves aux libertés de manifestation publique installent un climat de terreur dans l’opinion et neutralisent le débat démocratique. « Nous sommes frustrés, reconnaît-il. Les populations sont obligées de subir les choses les plus inacceptables. Mais, le pouvoir joue un jeu dangereux ; quand le peuple en aura ras-le-bol, février 2008 n’aura été qu’un jeu d’enfant. »
Pour contourner les autorités administratives, les hommes politiques et les leaders de la société civile sont obligés de passer en force. Au risque d’être rudoyés par les forces de l’ordre. « Il faut être prêt à se sacrifier, à forcer les choses, suggère Célestin Njamen. Hélas ! On manque de leaders politiques courageux. Au moindre pétard, ils fuient. »
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